09 : Intérieur jour / salle de réunion
Serge déchire les feuilles du paper-board utilisées pour son exposé alors que le dernier commercial sort de la pièce. Grimbert, au lieu de sortir, se dirige vers lui.
GRIMBERT :
(lui mettant la main sur l’épaule)
« Bravo Serge pour votre nouveau projet. Faites moi une promesse mon garçon : continuez comme ça. A ce rythme là, vous serez bientôt mon supérieur, vous irez loin. »
SERGE :
(rougissant)
« Vous savez … je ne fais que mon travail consciencieusement … je … »
GRIMBERT :
(l’interrompant)
« Allons pas de fausse modestie. Mais vous avez raison le travail y’a que ça de vrai ! »
(il lui fait un clin d’œil exagéré)
« Allez ! bon courage, la Niceteeth croit en vous. »
(Il secoue énergiquement la main de Serge et effectue quelques pas vers la porte et se retourne vers Serge)
« Ah ! j’oubliais. Pourriez-vous me préparer le dossier Tiheureut pour la fin de la matinée. »
SERGE :
« Vous pouvez compter sur moi M. Grimbert, j’ai un dernier coup de fil à donner et je rédige mes conclusions. »
GRIMBERT :
(se dirigeant vers la porte)
« tant mieux, tant mieux … »
Serge arbore un sourire plus éclatant que jamais, il range doucement ses affaires et se dirige vers la sortie.
SERGE :
(éteignant la lumière)
« Oui … Une belle journée … »
Il referme la porte.
10 : Intérieur jour / open space
Tout comme dans le métro des messages sont diffusés toutes les minutes dans l ‘entreprise par le biais de haut-parleurs :
HAUT-PARLEURS :
« Les dents c’est la vie »
« Le travail, comme le dentifrice rend sain et frais »
« Respecter ses collègues, c’est progresser »
« A la Niceteeth un seul mot d’ordre : il faut briller »
« L’entreprise c’est comme des dents ça marche en équipe »
Serge traverse un petit open space (environ dix personnes). Tous les salariés sont studieux. Ils ne relèvent la tête qu’au passage de Serge pour le saluer sans bruit mais tout en sourire.
Serge arrive à son bureau, moderne et bien rangé. Il s’installe, sort son Palm Pilot et le consulte. Toujours concentré, il empoigne son téléphone avant même que celui-ci n’ait sonné.
SERGE :
« Allô ? … Ha, monsieur de Bonor, j’allais justement vous appeler … Oui … Au sujet de votre commande du 3ème trimestre j’avais pensé à 200 000 unités pour 50 kE … Ah vous n’avez pas besoin de tant … Seulement 100 000. Oui, je comprend … »
(Grand sourire sur le visage de Serge)
« Vous payez quand même 50 kE pour être arrangeant. Oh, c’est formidable… Oui, moi aussi … Moi aussi … Allez, j’attend votre commande. A bientôt, Monsieur Bonor»
Il raccroche le téléphone. Se baissant pour allumer son PC, il se met à siffloter doucement.
Sur l’écran un smiley apparaît.
L’ORDINATEUR :
« Bonjour Monsieur Durallot et bonne … bo … b … boooonnnnnnnnnnnnnnnneeeeeeeeeeeeeeuuuuuuuuu (prononcé au ralenti) »
Le smiley se transforme en triste grimace et l’écran s’éteint dans un grand nuage de fumée noire. Serge s’arrête de siffler comme son ordinateur : progressivement. Il semble surpris.
SERGE :
« Mince …»
Il saisit son téléphone et compose un numéro.
SERGE :
(les réponses de l’interlocuteur de Serge sont inaudibles et nasillardes)
« Allô ? Bonjour Monsieur …Je suis bien au service informatique ? …Bien je comprend pas monsieur mon ordinateur ne fonctionne plus … Qu’est ce qu’il a ? Ben … Il a fumé et il fait plus rien … Comment ça, si j’ai tout débranché ? Y’a des risques ? C’est dangereux ? ... Ha, bon je préfère. Oui mais de toute façon le problème n’est pas là. J’ai un rapport très urgent à rendre il faudrait que vous passiez au plus vite… Demain ! ! ! »
(il commence a écarquiller les yeux mais reste calme)
« Je pense que vous ne m’avez pas bien compris. »
GRIMBERT :
(Criant de loin sans qu’on ne le voie)
« Serge vous êtes là ? »
Serge relève les yeux, puis prend le combiné et le rapproche de sa bouche :
SERGE :
(en chuchotant)
« Bougez pas je vous rappelle ».
( il raccroche et hurle :)
« Oui chef ! »
GRIMBERT :
(Arrivant face à Serge)
« Ah, mon petit Serge vous voilà. Alors, vous avez bouclé le dossier Tiheureut ?»
SERGE :
(Mal à l’aise)
« C’est à dire que je n’ai pas pu m’en occuper, mon ordinateur vient de tomber en panne et les agents de maintenance sont tous occupés et … ».
GRIMBERT :
« Quoi ! … »
SERGE :
(encore plus mal à l’aise)
« Oui mais … »
GRIMBERT :
(Faisant un pas de recul, la colère monte)
« … Vous n’avez pas préparé le dossier Tiheureux ! Mais vous êtes vraiment un incompétent !
Vous devriez être renvoyé sur le champ !
Les cris de Grimbert vont crescendo et provoquent comme une bourrasque face à Serge. D’énormes postillons volent dans sa direction.
SERGE :
(effrayé, il reste tétanisé)
« Non !… Pas encore …»
GRIMBERT :
« Vous êtes nuisible à l’entreprise et à la société toute entière ! »
Je pense que vos parents auraient mieux fait d’être stérilisés plutôt que de donner naissance à la larve incompétente et asociale que vous êtes ! »
Entendant les hurlement qui explosent dans l’open space les autres salariés relèvent la tête. Se tournant vers Serge, leur sourire bienveillant se transforme en grimace carnassière, de grandes cernes ornent leurs yeux. Les 4 commerciaux les plus proches de Serge se lèvent et se dirigent vers lui. Ils l’encerclent et se rapprochent progressivement.
LES 4 COMMERCIAUX :
(répétant de façon lancinante)
« Le dossier Tiheureux ! »
Les cris de Grimbert deviennent inaudibles jusqu’à se transformer en râle animal. Serge complètement paniqué regarde partout. Il pleurniche, il gémit.
HAUT-PARLEURS :
( Tous les bruits cessent à l’arrivée de la voix.)
« A la Niceteeth, le bonheur se porte brillant. »
Serge lève les yeux vers les haut-parleurs pendant le message. Il les baisse lorsque celui-ci s’achève. Face à lui, Grimbert réajuste son costume et les commerciaux ont regagné leur place. Serge, inquiet, est à l’affût du moindre geste suspect. L’angoisse se lit sur son visage.
GRIMBERT :
(reprenant sa bonhomie)
« Allons, mon petit Serge, ce n’est rien. Nous ne sommes pas à une journée près … »
Estomaqué, Serge reste la bouche ouverte et les yeux écarquillés.
GRIMBERT :
« En revanche, vous feriez bien d’en prendre une de journée. J’vous trouve tout palot, mon petit Durallot. Allez ! filez, bon R.T.T »
Il part nonchalamment dans le studieux silence retrouvé.
Serge est encore complètement hagard. Il reste immobile quelques secondes. Puis jetant des coups d’œil nerveux dans toutes les directions, il rassemble alors, ses affaires. Sa veste sur le bras, il traverse l’open space vers la sortie presque en courant.